La société chinoise, depuis le début des années 1980, fait montre d’un intérêt croissant pour les traditions religieuses. Invité de la Section romande de la Société Suisse-Chine (SRSSC), en collaboration avec la Faculté de
théologie, le jésuite français Benoît Vermander a donné le 7 octobre 2014 à l’Université de Fribourg, en Suisse, une conférence sur le « réveil religieux aux caractéristiques chinoises ». Le sinologue et politologue, professeur à la Faculté de philosophie de la prestigieuse Université Fudan de Shanghai, en a expliqué les caractéristiques dans une interview Jacques Berset, de l’agence Apic. Diffusée le 10 octobre 2014, cette interview est reproduite ici avec l’aimable autorisation d’Apic.

Apic: Professeur Vermander, qu’enseignez-vous à l’Université Fudan ?

P. Benoît Vermander, SJ: Je suis spécialisé dans les sciences religieuses et l’anthropologie religieuse, ainsi qu’en spiritualité comparée (méthodes de méditation - bouddhisme, christianisme, taoïsme). J’enseigne également le latin et la religion de la Rome antique. J’aborde là le débat entre le christianisme et la religion de la Cité. Comme tout professeur d’université, je travaille au plan académique. Pas question de faire du prosélytisme: ce n’est pas le lieu ! La probité intellectuelle est une vertu, et quand vous enseignez, vous ne prêchez pas !

Je contribue avec d’autres enseignants – qui peuvent être bouddhistes, taoïstes, chrétiens, musulmans ou athées – à la mise en forme académique des sciences religieuses en Chine. Il faut, grâce à des études sérieuses, dépasser les préjugés à l’égard des religions, car l’exercice de l’intelligence s’applique aussi au champ religieux.

L’Université en est consciente ?

Les universités chinoises n’échappent pas à l’évolution fulgurante de la globalisation. Les meilleures d’entre elles se mettent au diapason du monde. Ainsi, l’étude du fait religieux est forcément un « must » pour elles, dans leur volonté d’excellence. Certes, cela concerne encore un petit cercles d’universités: celles de Fudan, l’Université de Pékin, l’Université du Peuple à Pékin, celle du Sichuan, à Chengdu… On y trouve un enseignement sur les religions, dont le christianisme.

Vous parlez d’un véritable « réveil religieux » en Chine ?

En effet, le phénomène religieux est d’une très grande vitalité en Chine. Toutes les religions sont en croissance, et le point d’arrêt n’est pas encore atteint.

Ce sont les protestants qui connaissent le développement le plus fort. Les chiffres oscillent entre 30 et 100 millions, mais il n’y a aucune statistique sûre disponible. Les catholiques sont au maximum 20 millions, mais encore une fois, sans données certifiées, il est difficile d’articuler un chiffre exact.

Les chrétiens peuvent-ils pratiquer leur religion en toute liberté ?

Cela dépend de nombre de facteurs locaux, et la situation est très diversifiée. Les chrétiens, selon les circonstances, ont diverses stratégies d’adaptation. Il faut surtout éviter de généraliser. On ne peut pas avoir une vision manichéenne, parler d’Eglise clandestine fidèle à Rome et d’une autre totalement séparée, qui serait l’Eglise officielle sous l’égide de l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC). Ce serait une caricature de la réalité de parler de deux blocs complètement étrangers l’un à l’autre: il faudrait plutôt parler d’une réalité nuancée, d’un certain continuum. La plupart des évêques « officiels » sont également reconnus par le Vatican…

Quels défis se présentent pour les chrétiens chinois au XXIe siècle ?

Nombre de religions font face à des crises d’adaptation au monde qui change rapidement. Il y a la nécessité d’une réponse plus qualitative aux demandes des gens, et cela vaut également pour les bouddhistes. Il faut aider les fidèles à bien discerner, former le clergé, éditer de bons matériaux d’enseignement. La société doit faire face à une grande demande et le défi est de bien y répondre.

Après les périodes de persécution du passé, l’Eglise s’est concentrée sur la reconstruction de la vie dévotionnelle, la vie de prière, le ritualisme… Des questions fondamentales se présentent désormais aux chrétiens et il faut savoir y répondre: comment lire la Bible aujourd’hui, réfléchir à la morale sociale, à la responsabilité dans le champ de l’économie, etc. Certes, les nouveaux moyens d’information, comme Internet, sont une aide, et c’est bien utilisé, mais là aussi il y a des limites et tout n’est pas accessible !

Vous militez pour une béatification conjointe du jésuite italien Matteo Ricci et de son ami et premier catholique de Shanghai, Paul Xu Guangqi !

L’Eglise a passé beaucoup de temps à mettre l’accent sur les missionnaires étrangers et il est opportun de changer de perspective. A Shanghai, Paul Xu Guangqi a eu une vie spirituelle intense, c’est un grand confesseur de la foi. Les autorités le considèrent comme un grand patriote. Il faisait partie de l’administration de la cour impériale, et c’est là qu’il a rencontré le missionnaire Matteo Ricci qui le convertit au catholicisme avant qu’il soit baptisé par l’un de ses confrères en 1603. Le jésuite italien lui enseigna les sciences occidentales et Xu Guangqi traduira en chinois avec lui les Eléments d’Euclide.

En plus de l’écriture d’un vaste traité d’agriculture, le Nong Zheng Quan Shu, il avait développé une colonie agricole, qui expérimentait de nouvelles techniques agricoles, comme les méthodes d’irrigation occidentales. Il voulait ainsi contribuer à la lutte contre les problèmes de malnutrition et de famine. Paul Xu (1562-1633), membre de l’élite confucéenne, fit partie, avec Li Zhizao (1565-1630), baptisé Léon en 1610, et Yang Tingyun (1557-1627), baptisé Michel en 1612, de ce qu’on appelle « les trois piliers de l’évangélisation » en Chine.

Je milite pour que l’on ne béatifie pas Matteo Ricci sans béatifier en même temps son ami Xu Guangqi. Ce serait pour moi le meilleur cadeau que Rome puisse faire à l’Eglise de Chine et à la Chine en général ! (eda/apic/be)

Benoît Vermander, un jésuite à la tête de l’Institut pour le Dialogue Xu-Ricci, à Shanghai

Benoît Vermander est né en 1960 à Alger, dans une famille de professeurs originaire de la vallée de la Lys, en Flandre française. Après son entrée chez les jésuites à Lyon, à l’âge de 28 ans, il s’est installé à Taiwan en 1992, avant d’être ordonné prêtre en 1996 à Taipei. Ce sinologue et politologue a été directeur de l’Institut Ricci de Taipei de 1996 à 2010. Il fut également directeur de la rédaction de la revue en langue chinoise Renlai et du magazine électronique eRenlai.com, de 2003 à 2010. Il est consultant auprès du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à Rome et chercheur associé à Asia Centre, à Paris.

Depuis 2009, il est professeur à la Faculté de philosophie de l’Université de Fudan, à Shanghai, où il occupe également la position de directeur académique de l’Institut pour le Dialogue Xu-Ricci, inauguré le jour du 400ème anniversaire de la mort du missionnaire italien Matteo Ricci (1552-1610), de son nom chinois « Li Madou », un des premiers jésuites à pénétrer en Chine, apôtre de l’inculturation, ardent défenseur des «rites chinois» contre les tenants d’un christianisme orthodoxe.

Les travaux de Benoît Vermander portent notamment sur les religions chinoises aujourd’hui et la théologie catholique chinoise ainsi que sur la place de la Chine dans la mondialisation. Il a souligné et analysé la relation organique entre mondialisation et ascension chinoise (La Chine ou le temps retrouvé, les figures de la mondialisation et l’ascension chinoise, Academia-Bruyant, 2008). Sous son nom chinois (Wei Mingde), il a publié plusieurs livres en Chine et à Taiwan. Ayant étudié la calligraphie et la peinture chinoise depuis 1990, il peint sous le nom d’artiste de Bendu. Il a déjà exposé ses œuvres notamment à la Galerie nationale d’art de Pékin, à la Galerie d’art du Sichuan, à Chengdu, au Centre culturel Kwanghua, à Hongkong, mais également à Taiwan, aux Etats-Unis et en Europe. Sa prochaine exposition aura lieu au Musée d’art Xuhui de Shanghai à partir du 24 octobre prochain.

(source: Eglises d'Asie, le 13 octobre 2014)ricci